19 années de transition politique en Roumanie : de l’engouement démocratique à l’abstention chronique

27 Nov

Traduit par Mehdi CHEBANA

Quel bilan tirer de dix-neuf années de « transition démocratique » en Roumanie, à la veille des élections législatives du 30 novembre ? Sur les quelque 250 partis qui ont vu le jour en 1990, il n’en existe plus que 45, dont six seulement sont représentés au Parlement. Le système de vote uninominal adopté cette année pourrait accélérer la restructuration de la scène politique roumaine : le Parti de la Grande Roumanie (PRM) et l’Union démocratique des Magyars de Roumanie (UDMR) risquent de disparaître du Parlement. Rappel historique et analyse.

Ion Iliescu aux côtés de Nicolae Ceauşescu

Publié le 17 octobre 2008 dans România liberă

La nature aidant, la plupart des hommes politiques issus des structures de l’ancienne nomenklatura ont aujourd’hui disparu, à l’exception notoire d’Ion Iliescu qui fut ministre de la Jeunesse sous le régime communiste et membre du Comité central du Parti communiste. Ceci étant, un certain nombre d’anciens collaborateurs ou de professionnels de laSecuritate [police secrète roumaine sous l’ère communiste] ont survécu et restent actifs dans tous les parti politiques.

De ce point de vue, ce sont les partis historiques qui ont été les plus vulnérables, dans la mesure où ils ont « ressuscité » après la libération d’anciens détenus politiques qui avaient, pour beaucoup, été obligés de signer leur adhésion à la Securitate dans les années 1950 ou 1960 pour être libérés de prison. Au départ, ce sont les hommes politiques de droite qui ont été poursuivis en justice. Les membres du Parti social-démocrate (PSD) qui avaient collaboré avec la Securitate n’ont été démasqués que ces dernières années, grâce à la décision de Traian Băsescu de transférer les anciennes archives de la Securitate sous la compétence du Conseil national pour l’Étude des archives de la Securitate (CNSAS).

Une fois démasqués, les anciens collaborateurs de la Securitate n’ont pas pour autant quitté la vie politique parce que, d’une part, les partis roumains ne se sont pas imposé de principes moraux et que, d’autre part, la biographie des hommes politiques n’intéresse plus les électeurs aujourd’hui.

Soif de démocratie au sortir de la Révolution

D’ailleurs, selon les sondages, près de la moitié de la population disposant du droit de vote déclare ne pas être intéressée par le scrutin du 30 novembre. À la différence des premières élections libres du 20 mai 1990 – à l’époque, les gens attendaient dans des queues interminables pour aller voter -, les sociologues craignent que la participation électorale ne tombe cette année sous le seuil des 40%. Si le clivage entre communisme et anti-communisme était un facteur de mobilisation à l’époque, celui entre corruption et anti-corruption semble aujourd’hui tout aussi démagogique aux yeux des électeurs.

En Roumanie, la Révolution de 1989 a constitué le premier moment clé du retour à une vie politique de type démocratique, selon le politologue Adrian Sorescu, spécialiste des systèmes électoraux. « Quelques jours après les événements de décembre 1989, des partis politiques se sont enregistrés auprès des tribunaux compétents, certains partis traditionnels marquant ainsi leur retour sur la scène politique du pays sur la base de considérations idéologiques, d’autres partis résultant directement des événements tumultueux qui venaient de se produire. »

De même, le professeur en sciences politiques Alexandru Radu soutient que la réapparition du pluripartisme, par contraste avec ce qui existait sous le communisme, a constitué un retour à la vie politique démocratique qui existait dans l’entre-deux-guerres. Ainsi, au cours des premiers jours de l’année 1990, est né le premier mode de différenciation des partis : les forces politiques favorables au Front de salut national [1] et celles qui y étaient hostiles.

Pour Adrian Sorescu, la renaissance des partis historiques a été bénéfique dans la mesure où « une série de dirigeants amenaient avec eux un peu de l’expérience fragile qu’ils avaient de la démocratie de l’entre-deux-guerres, faisant ainsi le lien entre la quasi-démocratie qui existait alors et ce qui s’est passé jusqu’en 1989 ».

Interdits par le régime communiste en 1947, le Parti national-libéral (PNL), le Parti national des paysans (PNŢ) et le Parti social-démocrate de Roumanie (PSDR), se sont immédiatement reformés après la chute du régime communiste. Alexandru Radu souligne « que l’après-1990 a été marqué par le retour des partis jouant un rôle important dans la création de la Roumanie moderne ». En Roumanie, les partis historiques ont poursuivi leurs activités en exil ou les ont complètement interrompues sous l’ère communiste, à la différence de la plupart des anciens États satellites d’Europe centrale où les partis traditionnels ont continué d’exister sous le communisme.

« Alors que, dans les autres pays communistes, les partis historiques avaient maintenu des liens avec la société civile de l’époque, en Roumanie, ils ont été obligés de se donner une légitimité en faisant référence au passé et notamment à l’entre-deux-guerres », commente le professeur Alexandru Radu.

Selon lui, à la chute du communisme, les partis politiques ont connu deux étapes de développement. Tout d’abord l’enfance, « une période où les choses ont évolué de façon chaotique » et qui a pris fin en 1996 lorsque la première loi sur les partis politiques a été promulguée. La seconde étape consiste « en une plus grande maturité des partis », maturité qui reste toutefois imparfaite à ce jour.

Ni gauche, ni droite : les raisons d’un flou politique

Le Front de salut national rassemblé autour de Ion Iliescu en décembre 1989

De son côté, le politologue Cristian Pârvulescu souligne l’existence d’une situation paradoxale en Roumanie : « le communisme s’est volatilisé puis, aussi naturellement que l’écume de la mer, est apparu le Front de salut national (FSN) qui se considérait comme une émanation de la Révolution », commente-t-il, ajoutant que « les partis politiques avaient mal commencé en raison de l’absence d’opposition au nationalisme de Ceauşescu ».

Par conséquent, selon l’analyste, il n’existe pas vraiment de différence idéologique entre les partis politiques roumains dans la mesure où non seulement ils sont apparus, après la Révolution, sans vraies racines ni mouvement d’opposition comme cela a été le cas en Pologne ou en Hongrie, mais aussi où ils ont gravité, dès leur création, autour d’un petit groupe de personnes, devenant ainsi très dépendants de leur chef fondateur.

Pour Adrian Sorescu, « dans les pays en transition, les idéologies ont des limites, quelle que soit l’idéologie revendiquée », ce qui explique pourquoi le PSD a pu prendre des mesures libérales et les gouvernements libéraux des mesures sociales : « les idéologies s’estompent et ce sont les partis qui prennent le pas. Alors, la différence gauche-droite commence à disparaître. D’ailleurs, que ce soit en France ou en Grande-Bretagne, les dichotomies qui existaient il y a dix ans n’existent plus aujourd’hui », ajoute le politologue.

La gauche post-communiste ne pouvait pas avoir d’autre origine, selon Adrian Sorescu. Elle s’est construite à partir des anciennes structures du Parti communiste roumain (PCR) et de celles de la Securitate. « Quant au Front de salut national, au Front démocrate du salut national (FDSN) [2] et au Parti social-démocrate de Roumanie (PSDR), ils s’apparentent plus à des groupes de personnes ayant mis la main sur les ficelles du pouvoir et sur les ressources nationales. »

Un avis que partage Cristian Pârvulescu pour qui « le Front de salut national ne pouvait pas être créé autrement car les nouveaux dirigeants ont eu à leur disposition des réseaux déjà établis ».

« Le Front de salut national ne pouvait pas être recyclé puisque le statut du PCR était resté très flou [à la chute du communisme] », poursuit Alexandru Radu. « Le PCR n’a pas survécu chez nous, ne serait-ce que dans la forme, comme cela a été le cas en Hongrie ou en République tchèque où les communistes ont annoncé publiquement qu’ils entendaient réformer le Parti. C’est pour cela qu’il n’a pas été interdit en Roumanie. »

Jusqu’à il y a quelques années, on ne pouvait pas parler de politique de gauche en Roumanie, selon Adrian Sorescu. « Du point de vue idéologique, le PSD évolue, depuis 2005, dans le sens d’une plus grande affirmation de son ancrage à gauche. On le vérifie, notamment, avec les positions que le parti a prises récemment contre l’impôt unique défendu par la droite et auquel la gauche préfère une cote d’imposition progressive. »

D’autre part, Cristian Pârvulescu affirme que l’on ne peut pas parler de clivage gauche-droite en Roumanie car « il est adapté aux sociétés occidentales majoritairement catholiques comme la France, l’Espagne ou l’Italie ». Pour lui, les clivages faisant sens pour les périodes de transition et de post-transition en Roumanie sont, d’un côté, celui opposant communisme et anti-communisme, et, de l’autre, celui entre réformateurs et conservateurs au sens économique, social et politique.

L’émergence des partis identitaires

Les spécialistes considèrent que l’importance de l’Union démocratique des Magyars de Roumanie (UDMR) sur la scène politique roumaine est due aux politiques nationalistes et anti-hongroises menées par Nicolae Ceauşescu. « L’UDMR s’est construite et a résisté parce que les Hongrois ont toujours eu des objectifs communs et spécifiques à leur communauté », explique Adrian Sorescu. « Cependant, au fur et à mesure que ces objectifs communs se sont réalisés, les membres de cette communauté n’ont plus considéré comme nécessaire de soutenir cette formation », ajoute-t-il, soutenant que la naissance de l’UDMR s’explique par le fait « qu’en 1989 la Roumanie est sortie d’un communisme d’orientation nationaliste et que, de toute évidence, l’UDMR a réussi à changer les choses à force de diplomatie et de bonne intelligence ».

Par ailleurs, le grand nombre de voix obtenus par le Parti de la Grande Roumanie (PRM) au début des années 1990, et qui a culminé lors de l’élection présidentielle de 2000 où Corneliu Vadim Tudor avait atteint le second tour face à Ion Iliescu, relève d’un type particulier de culture politique.
« Le PRM est un parti anti-hongrois, antisémite, anti-rrom, nationaliste qui regroupait, à l’origine, des cadres militaires nostalgiques de l’époque où ils jouaient un rôle dans la société, mais aussi d’anciens officiers de la Securitate qui ont intégré le parti pour promouvoir leurs droits et défendre leurs intérêts », poursuit Adrian Sorescu.

Pour Cristian Pârvulescu, l’UDMR serait même « une justification de l’apparition du PRM ». Un avis que partage Alexandru Radu pour qui « l’UDMR est à l’origine de la naissance du PRM et du Parti de l’unité nationale des Roumains (PUNR) », à la seule différence que le PUNR a disparu plus rapidement parce qu’il avait été créé en opposition à l’UDMR et que cette opposition s’était avérée artificielle.

« D’autre part, le PRM apporte une série de nuances sur la question de l’idéologie anti-hongroise », souligne Alexandru Radu pour qui « la présence de l’UDMR dans le paysage politique roumain a garanti la paix ethnique et sociale en Roumanie et a permis de garder les tensions sous contrôle ».

Désaffection progressive pour la « chose » publique

18 millions d’électeurs sont attendus aux urnes dimanche 30 novembre 2008

La montée de l’abstention constatée depuis le début des années 1990 fait partie d’un processus normal dans la mesure où la nature du régime politique revêt progressivement moins d’importance en soi, explique Mircea Kivu.

Avant 1989, un jour d’élection était pourtant considéré comme une fête nationale même si, rappelle Cristian Pârvulescu, « la participation massive au vote était un leurre absolu ».

Adrian Sorescu souligne, par ailleurs que, dans les sociétés démocratiques, la participation n’est pas très élevée, notamment parce que certains citoyens considèrent que, peu importe l’issue du scrutin, leur vie ne changera pas pour autant. Le politologue considère également que le déclin de la participation est essentiellement dû a des défaut de communication entre les partis politiques et leurs électeurs.

Au début des années 1990, plus de 200 partis participaient aux joutes électorales. Pourtant, avec le temps, leur nombre a considérablement chuté puisqu’il n’existe pas plus de 50 partis aujourd’hui. Cristian Pârvulescu souligne que le nombre de formations politiques n’a jamais été très important en Roumanie puisque « sur les 250 partis qui se sont présentés aux élections de 1990, seul le FSN l’a véritablement emporté, avec 67% des voix, devant une poignée de partis et l’UDMR qui se sont partagés le reste du gâteau ».

Le déclin du nombre de partis politiques participant aux grands rendez-vous électoraux est bénéfique dans la mesure où il permet d’éviter la dilution des discussions pendant la campagne, soutient Adrian Sorescu. Ce dernier prend l’exemple de l’élection de 2004 où un débat final entre douze candidats avait été organisé avant le premier tour, « ce qui n’a pas manqué de nuire à la clarté des discussions et de semer la confusion chez les électeurs ».

Alexandru Radu considère qu’il s’agit d’un processus naturel, alimenté par la loi sur les partis politiques qui rend plus difficile le dépôt de statuts pour les nouveaux partis. De plus, le modèle politique, dans lequel s’inscrivent les scrutins, limite le nombre de partis parce que la tendance générale, que les citoyens traduisent directement par leur vote, est de choisir entre deux partis politiques tout au plus. Pour Alexandru Radu, « avoir plusieurs partis au sein du Parlement ne signifie pas forcément stabilité. Si beaucoup de petits partis étaient représentés, il serait très difficile de former un gouvernement ».

Les formations politiques en route vers l’Europe

L’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne a impliqué un alignement de la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays sur les standards communautaires. Presque vingt ans après la Révolution, les partis politiques devraient, eux aussi, s’être implicitement européanisés. Les choses n’ont pourtant pas beaucoup évolué selon Cristian Pârvulescu : « on retrouve aujourd’hui ces formations clientélistes d’antan, totalement dépourvues d’idéologie ».

« Les partis roumains ne sont pas européens sur le plan du discours et des actes », ajoute Adrian Sorescu. « Ils ont un appétit fantastique pour les accusations sans fondement, conscients du fait que personne ne les poursuivra en justice. Ceci créé un véritable climat de tension. »

En revanche, le sociologue Mircea Kivu estime qu’il aurait été difficile aux partis roumains de ne pas s’européaniser à partir du moment où ils ont tous intégré les partis européens représentés à Bruxelles. « De plus, le mérite personnel semble à la base des choix en matière de nomination et d’organisation au sein des partis », ajoute Mircea Kivu.

De la Grande Assemblée nationale au Parlement bicaméral

L’immense « Maison du peuple » construite sous Ceauşescu abrite aujourd’hui les deux chambres du Parlement roumain

Sous le communisme, la Grande Assemblée nationale faisait office de Parlement et se réunissait deux fois par an, pendant quelques jours, pour voter les décisions prises par le parti unique. Un Parlement formé d’une seule chambre à l’époque du parti unique, « voilà l’expression du caractère monolithique des communistes », affirme Alexandru Radu.

Pour sa part, Mircea Kivu soutient que cette institution jouait « un rôle strictement décoratif » et représentait « une dépense inutile ». À l’époque, les élections avaient lieu suivant le vote uninominal. Dans chaque circonscription, un candidat du PCR se présentait et gagnait. Quand il y avait deux candidats, on s’arrangeait pour que ce soit des copies conformes : écrivain contre écrivain, homme contre homme, afin de contrôler qui irait au Parlement. C’est pourquoi il y avait plus de femmes au parlement à l’époque, précise Mircea Kivu.

La Révolution marque le retour à une formule plus traditionnelle : un Parlement constitué de deux chambres, à savoir une Chambre des députés et un Sénat élus selon les mêmes modes de scrutin et disposant de pouvoirs et de prérogatives semblables. En Roumanie, il existe une tradition de bicamérisme qui remonte à Alexandru Ioan Cuza [3], rappelle Cristian Pârvulescu, rejoint par Alexandru Radu pour qui « la Roumanie est un grand pays, avec une population dépassant les 10 millions d’habitants. Un Parlement bicaméral est donc une bonne représentation des citoyens en politique ».

La Roumanie est, en superficie, le septième plus grand État de l’Union européenne, et tous ceux qui la devancent sur ce critère ont un Parlement bicaméral, souligne Cristian Pârvulescu. La transition de la Grande Assemblée nationale au Parlement bicaméral s’est opérée grâce au Conseil provisoire d’union nationale (CPUN) qui a été une sorte de Parlement ad-hoc, un organisme révolutionnaire qui a dirigé le pays de février 1990 au 20 mai 1990. Ainsi, c’est dans le cadre du CPUN que l’activité parlementaire et révolutionnaire a été stimulée. « De nombreux partis censés assurer des sièges au FSN entraient au CPUN et des discussions interminables se tenaient alors pour ne plus donner aucune chance à l’opposition », rappelle Mircea Kivu.

Partisan d’une différenciation en matière de mode de scrutin et d’attributions pour les deux chambres, Adrian Sorescu estime, lui aussi, que « le bicamérisme est, en soi, une bonne chose pour la Roumanie, même si le parallélisme presque total entre les deux chambres n’est pas toujours bon ». Dans certains États, rappelle-t-il, le Sénat joue, par exemple, un rôle dans la représentation des communautés.

Le modèle français est inadapté à la vie politique roumaine

Du dictateur au Président élu par le peuple, la Roumanie est devenue, avec la Constitution de 1991, une république semi-présidentielle s’inspirant partiellement des institutions françaises de la Ve République. En d’autres termes, en Roumanie, le Président est élu directement par les citoyens mais il ne dispose cependant pas d’un grand pouvoir. Par exemple, il ne peut dissoudre le Parlement qu’après deux tentatives infructueuses du gouvernement pour obtenir le vote de confiance. De même, bien qu’il nomme personnellement le Premier ministre, le président ne peut en aucun cas le démettre de ses fonctions.

« La Constitution a essayé de mettre en place un modèle politique à la française qu’on ne retrouvait pas dans le débat roumain : le rapport de forces fondé sur la collaboration », estime Alexandru Radu. « Malheureusement, ce modèle n’est pas adapté à la vie politique roumaine, surtout si l’on part du conflit originel entre le FSN et les partis historiques. Du coup, il est entré en conflit avec la réalité ».

Pour Cristian Pârvulescu, il n’était pas possible de mettre en place, en Roumanie, un modèle où le chef de l’État détenait un pouvoir fort car « on ne voulait pas d’un nouveau dictateur ». Un avis que partage Alexandru Radu qui soutient que le choix d’un tel régime relève aussi des particularités historiques du pays. Dans les contrées orientales, le rôle du « père » est très important. Ainsi donc, Étienne le Grand incarnait à la fois l’armée, la justice et le pouvoir et, comme le rappelle Mircea Kivu, les Roumains accordaient encore beaucoup d’importance au « leader paternaliste » au début des années 1990. Mais aucun débat n’a eu lieu sur ce thème à l’époque. « Nous avons assisté à une transposition des discussions ’FSN contre partis historiques’ sur le débat république contre monarchie ».

À la différence de la Hongrie voisine, la Roumanie n’a pas fait le choix du régime parlementaire, avec un Président élu par le Parlement. Les électeurs auraient été très frustrés de ne pas choisir leur président, estime Mircea Kivu. « Voilà ce qu’entendaient les Roumains par l’expression ’élections libres’ : la possibilité de choisir directement le chef de l’État ».

En ce qui concerne l’idée d’un retour à la monarchie, très répandue au début des années 1990, Adrian Sorescu juge qu’à cette époque un monarque aurait constitué
un plus pour assurer la stabilité de la vie politique roumaine. « La Roumanie n’aurait pas été autant coupée de la civilisation si, aussitôt après la Révolution, on avait assisté au retour du régime qui avait été renversé le 30 décembre 1947 », commente-t-il.

« La monarchie aurait assuré un équilibre bien meilleur entre les différents pouvoirs, mais le choix d’un tel régime n’aurait pas été réaliste à cause de l’image démoniaque que les gens en avaient et dont ils ne pouvaient se départir », ajoute Mircea Kivu.

Une longue série de crises politiques dans les années 1990

En juin 1990, les mineurs de la vallée de Jiu descendent à Bucarest pour réprimer les manifestations anti-gouvernementales

Ces vingt dernières années, la politique intérieure de la Roumanie a été marquée par une succession de crises gouvernementales et économiques et fortement influencée par la violence des « minériade » [4] et des batailles que se sont menées nouveaux politiciens et anciens membres de la nomenclature communiste.

Ces derniers ont participé à huit gouvernements et ont déclenché une série de crises qui a ralenti le développement économique et social du pays. Juste après l’élection de 2004, le nombre d’anciens membres du Parti communiste faisant partie des structures gouvernementales et parlementaires a baissé de façon notoire du fait de la mise en avant de la jeunesse dans la vie des partis et du vieillissement des anciens fidèles du PC.

Le 25 décembre 1989, le couple Ceauşescu est jugé pour génocide par une cour militaire ad-hoc, puis exécuté. Lors des journées révolutionnaires, Ion Iliescu et une partie des dissidents du Parti communiste avaient pris le pouvoir et créé le Conseil du Front de salut national (CFSN), transformé en formation politique baptisée Front de salut national (FSN) et conduite par Ion Iliescu. Mais les représentants des partis historiques de Roumanie – PNŢ, PSDR et PNL – et plusieurs opposants à la dictature ont protesté contre cette mesure qu’ils considéraient comme « u ne confiscation de la Révolution ». Suite à ce mouvement de protestation, les membres des partis politiques, les représentants des minorités et les anciens prisonniers politiques créèrent le Conseil provisoire d’union nationale (CPUN).

Le 20 mai 1990, les premières élections législatives et présidentielle sont organisées en Roumanie. Le FSN obtient une victoire écrasante et Ion Iliescu est élu Président. Petre Roman, professeur à l’université Politehnica, est élu Premier ministre de ce deuxième gouvernement post-révolutionnaire. Son gouvernement reprend en main une économie hypercentralisée, une industrie très gourmande en énergie, les milliards de dollars de dettes extérieurs en lien avec les pays du Tiers Monde – dont Nicolae Ceauşescu était très proche – mais aussi un nombre impressionnant de salariés dont le licenciement aurait pu renverser un nouvel ordre social très précaire. La liberté d’entreprise s’est pourtant bien développée et beaucoup – notamment ceux qui avaient pu faire de l’argent pendant la dictature – ont créé des entreprises – souvent alimentées en produits turcs – ou des petites unités de production.

Le gouvernement de Petre Roman prend fin en 1991, après un troisième assaut des mineurs sur Bucarest. Un gouvernement provisoire, conduit par Teodor Stolojan, lui succède jusqu’à l’automne 1992.

Que ce soit sous le gouvernement de Teodor Stolojan ou sous celui de Nicolae Vacaroiu qui lui a succédé pendant quatre ans (jusqu’en 1996), les problèmes économiques s’aggravent. Les réformes structurelles prennent du retard, le crédit à la consommation augmente et de nombreux ouvriers se retrouvent au chômage technique. Toutefois, la balance des paiements du pays échappe enfin à l’équilibre dangereusement précaire dans lequel elle se trouvait. Par ailleurs, sur les terrains des anciennes coopératives agricoles de production (les CAP), que l’on commence à restituer à leurs propriétaires légitimes, une agriculture de subsistance se met progressivement en place, le rendement chutant, par là-même, de façon notoire.

En 1996, une coalition regroupant les partis historiques, l’UDMR et le Parti démocrate créé par le Premier ministre démissionnaire Petre Roman remporte les élections. Membre du Parti national des paysans (PNŢ), leader syndical et procureur de métier, Victor Ciorbea, est nommé à la tête du gouvernement. Avec ses ministres, il commence à décapiter ou à privatiser les colosses de l’industrie socialiste qui enregistraient des pertes énormes depuis la Révolution. Un vaste chantier que Victor Ciorbea n’a pas pu terminer. Après longue crise au sein du gouvernement ; il est remplacé, après 16 mois au pouvoir, par Radu Vasile, un autre membre du PNŢ.

Pendant son mandat qu’il aura assuré pendant 20 mois (jusqu’en 1999), le nouveau Premier ministre a dû gérer une nouvelle minériade et assister à l’aggravation des problèmes économiques de son pays au bord de la faillite : le PIB en 1998 était inférieur de 7,3% à celui de 1997, un leu [5] fortement déprécié par rapport au dollar américain, l’absence d’accord avec le Fonds monétaire international et des perspectives si mauvaises qu’elles faisaient fuir les investisseurs et les bâilleurs de fonds étrangers.

Dans ce contexte défavorable, le gouverneur de la Banque centrale roumaine, Mugur Isărescu, arrive au gouvernement le 22 décembre 1999. Il parvient à sauver le pays de la faillite, à améliorer les relations de Bucarest avec les institutions financières internationales et à marquer des points essentiels dans les négociations concernant l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne, surtout dans le domaine de la transposition de l’acquis communautaire.

En décembre 2000, les sociaux-démocrates remportent l’élection présidentielle et le tandem Ion Iliescu (Président) et Adrian Năstase (Premier ministre) s’installe à la tête du pays. Pendant ces quatre années de mandat, la Roumanie obtient le statut d’économie de marché fonctionnelle, intègre l’Otan et obtient la suppression des visas pour voyager au sein de l’UE. Cependant, la lutte contre la corruption ainsi que les réformes du système de santé et du système judiciaire stagnent, malgré le fait que le gouvernement assume devant le Parlement la responsabilité d’un vaste paquet législatif anti-corruption.

En 2004, le PSD perd les élections au profit d’une coalition formée par le Parti démocrate conduit par Traian Băsescu, l’actuel Président de la Roumanie, et le Parti national libéral (PNL) de Calin Popescu Tăriceanu, Premier ministre en exercice. Avec eux, la réforme de la justice a progressé de façon spectaculaire, les investissements étrangers ont explosé et la Roumanie a été admise dans l’Union européenne le 1er janvier 2007.

Notes
[1] Le Front de salut national était l’organe dirigeant en Roumanie dans les premières semaines qui ont suivi la Révolution de décembre 1989.
[2] Le Front démocrate du salut national a été créé en 1992 par un groupe d’hommes politiques ayant fait scission du FSN après la nomination de Petre Roman à la tête de cette formation.
[3] Alexandru Ioan Cuza fut le souverain des principautés unies de Roumanie entre 1859 et 1866.
[4] Une « minériade » est le terme générique pour désigner les interventions musclées des mineurs roumains dans les années 1990, visant à faire pression sur l’appareil d’État pour obtenir des changements politiques.
[5] Le leu est l’unité monétaire de la Roumanie. Pluriel : lei.

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