Traduit par Mehdi CHEBANA
On connait la mégalomanie et l’ambition pharaonique du couple qui a dirigé la Roumanie d’une main de fer entre 1965 et 1989, mais beaucoup moins le détail de leur intimité, d’une vie quotidienne marquée par la peur constante de l’empoisonnement et rythmée parfois par des passions d’une « simplicité ostentatoire ».

Nicolae Ceauşescu
Publié le 10 mars 2015 dans Evenimentul zilei
Aussitôt après la révolution de décembre 1989, l’une des première rumeurs qui a couru sur « le plus aimé des Roumains », c’est qu’il aurait eu l’habitude de se faire faire des transfusions avec du sang de bébé. Une histoire totalement fausse qui a pris de grandes proportions et qui visait à rendre l’image de Nicolae Ceauşescu la plus hideuse possible. Comme si la réalité du pays, pendant les dernières années de son mandat, ne suffisait pas à elle-même. Lui et sa femme avaient toutefois de nombreux caprices.
« Ces caprices s’expliquent d’abord par le contexte tourmenté de la Guerre Froide », analyse le sociologue Paul Dumitrache. « Cela n’étonnera personne de savoir qu’ils se montraient par exemple très méfiants et attentifs en matière de repas. On dit qu’ils n’utilisaient jamais deux fois les mêmes couverts de peur d’êtres empoisonnés. Lui, craignait surtout d’être exposé à des matières radioactives. »
Les peurs de Ceauşescu se sont développées après la mort suspecte de son prédécesseur Gheorghe Gheorghiu-Dej [1], que les Soviétiques auraient, à en croire la rumeur, empoisonné ou exposé à des matières radioactives. Ce sont ces bruits qui ont décidé l’ancien dictateur à mettre au point un système strict pour assurer sa sécurité et celle de sa famille au cours des repas.
On sait aujourd’hui que Nicolae Popescu, l’un des cuisiniers occasionnels du couple, ne leur préparait à manger qu’au siège de la Société d’Hébergement et d’Alimentation à Bucarest. Il était étroitement surveillé par un médecin militaire et par deux sous-officiers de la cinquième direction de la Securitate. La nourriture était mise sous scellé et transportée dans un véhicule de la police politique ou de ladite société, et ce sous l’étroite surveillance d’un sous-officier.
Avant d’être cuisinés, les ingrédients utilisés pour les repas des Ceauşescu étaient toujours soumis à des tests préalables dans les laboratoires du Sanepid [2]. On y vérifiait leur charge bactérienne, leur composition, les proportions de graisse dans la viande, la quantité de sel ou de métaux lourds et même leur radioactivité.
Des repas frugaux
Contrairement à la légende urbaine, les Ceauşescu ne mangeaient pas tous les jours des plats onéreux qu’ils auraient découvert à la table de princes, de rois et de présidents, lors de voyages officiels à l’étranger. Ils appréciaient davantage les repas frugaux, et ce jusqu’à la fin de leur vie. Bien sûr, ils avaient la possibilité de commander n’importe quel plat de la planète. Mais ils n’avaient pas un appétit féroce et préféraient la simplicité de la cuisine traditionnelle roumaine, du chou farci aux petites saucisses en passant par toutes sortes de soupes. […]
Au déjeuner, ils prenaient des légumes parce qu’ils savaient qu’ils étaient bon pour la santé : des épinards avec deux œufs au plat, des poivrons farcis ou encore des plats à base d’orties. A la fin de leur vie, ils mangeaient plus rarement du poulet, du bœuf ou du porc grillés. Souffrant de diabète et d’un cancer de la prostate, le « conducător » devait suivre un régime alimentaire très strict. Il évitait les sucreries, les plats trop lourds et les repas dans les lieux à l’hygiène douteuse.
Comme lui, Elena était obsédée par la propreté et prenait soin que tout soit aseptisé autour d’eux. Après chaque rencontre et chaque intervention publique, les deux époux se lavaient les mains avec une solution à base d’alcool, a fortiori quand ils avaient serré des mains.
Le « conducător » fan de Kojak
Côté loisirs, Elena et Nicolae Ceauşescu avaient pour habitude de faire la sieste après chaque repas. Pour se détendre, évacuer le stress et les soucis, un masseur était également à leur disposition.
Lui, aimait aussi boire de l’alcool mais ne le faisait jamais en public. Il souhaitait renvoyer l’image d’un homme sobre et amateur de thé. Il avait une préférence pour un vin blanc roumain et pour un cognac aux arômes très prononcés. Elle, avait une passion pour le champagne français « Cordon Rouge » ainsi que pour le xérès.
Ils appréciaient aussi beaucoup la musique populaire et en particulier, les romances d’Olténie. On connait aussi la passion de l’ancien dictateur pour les échecs, mais les parties étaient truquées. Avant chacune d’elles, on intimait à ses adversaires l’ordre de perdre sans que le « camarade » s’en aperçoive.
Peu de gens le savent, mais Nicolae Ceauşescu était également un grand cinéphile. Il ne s’est jamais montré publiquement dans une salle de cinéma mais il avait donné des instructions pour que toutes les résidences présidentielles soient dotées d’une salle de projection moderne. Il préférait les séries policières – son héros favori était Kojak interprété par Telly Savallas – mais aussi les films historiques, en particulier ceux sur Napoléon.
Le souci de l’apparence
Enfin, les tenues vestimentaires du couple sont à l’origine de nombreux fantasmes en Roumanie. On a dit qu’ils ne s’habillaient jamais deux fois de la même façon, qu’Elena n’apparaissait jamais deux fois en public avec la même coiffure ou qu’elle ne supportait pas la présence de filles plus jeunes qu’elle à ses côtés.
Il y a du vrai dans tout cela comme l’a révélé à la presse l’ancien responsable en communication de la famille présidentielle, Radu Burciu. « J’ignore combien de costumes possédait Nicolae Ceauşescu mais je sais que si on le voyait dans l’un d’eux un jour, il en portait un autre le lendemain », a-t-il témoigné.
A partir du moment où Nicolae Ceauşescu devient secrétaire général du Parti des travailleurs roumains en mars 1965, les deux époux s’entourent d’une équipe chargée en permanence de soigner leur apparence afin qu’ils soient impeccables dans toutes leurs apparitions publiques. Des tailleurs prennent soin des tenues qu’ils portent, notamment des pantalons de l’ancien dictateur. Celui-ci était petit et n’entrait dans aucun pantalon de taille normale, il avait donc besoin de retouches. Des deux, c’est Elena qui tenait à impressionner par sa tenue vestimentaire. Ses tenues étaient élégantes mais simples.
« Elena Ceauşescu tenait son goût pour les beaux habits d’une rencontre avec la famille Nixon », raconte Paul Dumitrache. « L’épouse du président américain était devenue un modèle pour elle. Elle a copié non seulement son style vestimentaire mais aussi sa façon d’être en public. »
Toutefois, contrairement aux idées reçues, les Ceauşescu n’achetaient pas massivement leurs habits à l’étranger. Ils préféraient les créations roumaines. Quand ils visitaient les grandes capitales étrangères, Elena rencontrait souvent des vendeurs de vêtements et de chaussures dans les hôtels où le couple était logé. Mais la plupart du temps, elle ne leur achetait que les tissus avec lesquels elle faisait fabriquer les vêtements sur le sol roumain.
Dans sa garde-robe, elle avait de nombreux vêtements inspirés du style Chanel mais aussi une collection impressionnante de manteaux de fourrure qu’elle portait le plus souvent à l’étranger. Elle évitait de les mettre en Roumanie, afin de conserver une image de retenue aux yeux des gens.
[1] Gheorghe Gheorghiu-Dej fut le dirigeant communiste de la République Populaire Roumaine de 1947 à sa mort en 1965.
[2] Le Sanepid, pour « service anti-épidémique », était la direction des Affaires sanitaires sous le régime communiste roumain. Il a continué de fonctionner plusieurs années après la révolution.
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