Le Sheriff Tiraspol, une vitrine diplomatique pour la Transnistrie

11 Août

Par Mehdi CHEBANA

Quinze ans après sa création, le Sheriff Tiraspol affiche le plus beau palmarès du football moldave. Le club phare de la république séparatiste de Transnistrie, qui rencontrera l’Olympique Marseille fin août en barrages de l’Europa League, a déjà remporté onze championnats et sept coupes de Moldavie. Une performance aux accents de revanche pour la petite bande de terre qui a fait sécession en 1992, mais dont l’indépendance n’est reconnue par aucun État au monde.

Le stade du Sheriff Tiraspol

Publié le 24 août 2010 dans Le Courrier des Balkans (actualisé)

Depuis que les autorités de Tiraspol ont fait sécession de la Moldavie en 1992, cinémas, théâtres et salles de concert ont fermé tour à tour en Transnistire. Il n’y a guère que les stades de football qui soient restés debout, offrant aux 500.000 habitants de la petite région séparatiste l’un des rares moyens d’échapper à leur quotidien.

Conscient de l’importance de cet opium footballistique, le régime permet aux clubs locaux de jouer en championnat moldave. Une concession à son hostilité envers le pouvoir central de Chişinău, mais aussi un coup diplomatique, alors qu’aucun État au monde ne reconnait l’indépendance de la Transnistrie.

Car c’est en qualité d’équipe moldave que le Sheriff Tiraspol, qui vient de remporter son dixième championnat et sa septième coupe de Moldavie, peut évoluer dans les grandes compétitions internationales. Double vainqueur de la coupe de la Communauté des États-indépendants (CEI) en 2003 et 2009, le club a fait, cette saison, des débuts remarqués en phases de poule de la Ligue Europa.

Certes, les joueurs n’ont terminé que troisième de leur groupe, mais il ont signé une victoire retentissante contre les Hollandais de Twente (2-0) et ont tenu en échec, le Steaua de Bucarest, vainqueur de la Coupe d’Europe des clubs champions en 1986.

« C’est un bon résultat pour nous », s’enthousiasmait alors l’attaquant sénégalais Amath Diedhiou, l’un des quatre joueurs francophones de l’équipe. « Le Steaua est un grand club, on jouait à l’extérieur et on faisait nos premiers pas à ce niveau d’une compétition européenne. On voulait gagner, certes, mais la performance est loin d’être mauvaise ! ».

Sans rival en Moldavie, le Sheriff est donc en pleine ascension sur la scène européenne. Il aura l’occasion de le confirmer, cet été, lors du deuxième tour préliminaire de la Ligue des Champions.

Football, argent et léninisme

Fondé en 1997 par l’une des entreprises les plus puissantes de Transnistrie, sponsorisé par Adidas, le club compte déjà parmi les mieux dotés d’Europe centrale. Son budget faramineux – mais top secret – lui permet de s’offrir des joueurs africains, brésiliens, argentins, serbes ou russes, ce qui exacerbe la fierté de ses supporters. Dernière recrue en date, l’attaquant monténégrin Zarko Korac, meilleur buteur de la première division monténégrine, il y a trois ans, qui a signé en janvier 2010.

Le club dispose par ailleurs d’un centre de formation haut-de-gamme accueillant 160 enfants de 9 à 16 ans et d’un stade ultra-moderne qu’il a fait bâtir en 2002 sur plus de 40 hectares. Le Bolshaya Sportivnaya Arena, a une capacité de 13.000 places et répond parfaitement aux normes de l’UEFA. Lors d’une visite officielle en aout 2002, le président de la FIFA, Joseph Blatter, avait d’ailleurs salué l’excellente qualité de ses infrastructures.

« Nous en sommes très fiers ! », confiait trois ans plus tard le ministre transnistrien des Affaires étrangères Valeri Letskai, au Courrier des Balkans. « Ce stade a été réalisé par la Compagnie Sheriff, une entreprise privée très riche, mais qui n’a rien à voir avec l’État », nous avait-il précisé.

Officiellement, les autorités de Tiraspol n’ont en effet aucun intérêt dans ce club ultra-doté. Pourtant, elles en saluent régulièrement les performances et l’utilisent ouvertement comme une vitrine pour asseoir leur lutte pour la reconnaissance. Une position à mille lieues de la nostalgie léniniste promue dans les soviets qui fonctionnent toujours dans cette région, l’une des plus pauvres d’Europe.

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